De tous temps, en tous lieux, on a raconté des histoires. Certaines se perdent, d'autres se transmettent et nous parviennent de façon un peu mystérieuse. A force d'être racontés, transformés, adaptés par plusieurs générations, les récits acquièrent le statut de contes et de légendes.
Dans le cadre de son inventaire du patrimoine culturel immatériel, le Parc naturel régional Jura vaudois est parti en quête des histoires qui hantent son territoire, mais aussi de celles et ceux qui les content.
Télécharger la fiche d'inventaire pour plus d'informations : Fiche 02 Contes et légendes
Petite, Désirée Lauper assistait aux veillées, dans son Valais natal. Elle était déjà celle qui raconte et enjolive les anecdotes. Si bien qu'une amie lui recommande une formation de conteuse. Aujourd'hui, elle conte souvent à l'extérieur, au cœur de la nature qui l'inspire tant.
«Je m'amuse comme une folle, quand je conte. Si une histoire ne me fait pas rire, ne me touche pas, j'aurais du mal à la raconter. J'aime amuser mon public, mais moi, je m'amuse aussi beaucoup. J'adore conter pour les enfants parce qu'ils sont tellement spontanés que c'est difficile de prévoir ce qu'il va se passer, comment ils vont réagir.»
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Comédienne, elle s'est initiée aux contes pour enrichir les cours de théâtre qu'elle propose. Littéralement envoûtée par un griot burkinabé, elle a adoré l'exercice. Une conteuse était née. Dans l'atelier de Mademoiselle F., elle propose spectacles, cours de théâtre, résidence d'artistes et moments contés. Des contes coquins pour adultes aux tartines de contes pour les familles, à l'heure du petit déjeuner: il y en a pour tous les goûts.
«Partout, autour de la planète, on peut captiver un public avec rien. Juste une histoire et une voix. Ca a un côté vraiment magique. [...] Alors je vais souvent trouver les vieux, je les fais parler. [...] Et ces histoires, je les intègre à mes contes. Parce qu'elles font partie de l'imaginaire collectif, du mien comme de celui de mes interlocuteurs.»
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C'est lors d'un long trajet en voiture avec sa fille qu'Isabelle Livet découvre l'art de conter. C'est le déclic pour développer son activité de conteuse. Désormais, elle raconte des histoires à des publics très divers pour lesquels elle prend soin d'adapter le ton de sa voix, les mots et la durée du spectacle. Elle emmène les contes dans des lieux inédits: prisons ou centres de réinsertion et s'attache à aborder des problématiques d'actualité.
« Le conte, c'est l'oralité pure. Ce n'est pas de la lecture, même si on trouve nos contes dans des livres, et heureusement! Ils sont essentiels aujourd'hui pour sortir les gens des écrans, même si c'est un défi d'intéresser sans images, juste avec notre présence et notre voix.»
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En 1536, les Bernois conquièrent le canton de Vaud et y imposent la Réforme. La légende raconte que les moines de L'Abbaye, fuyant leur monastère avec missels et reliquaires, emportèrent la cloche d'argent de leur église sur le bateau qui les emmenait au Lieu. Las, celle-ci, dans un remous, tomba de la frêle embarcation au fond du lac de Joux. Il semble que parfois, elle tinte encore. Pour l'entendre, il faut avoir le cœur d'un saint et les oreilles d'un poète. Cette anecdote souligne le cadre historique dans lequel s'inscrivent les traditions orales, dans le Parc naturel régional Jura vaudois. En effet, il semble que la pauvreté du répertoire conté de la région s'explique, en partie, par la volonté calviniste d'interdire tous les récits non bibliques. Les récits populaires semblent plus nombreux dans les cantons catholiques.
Qui contait? De quelle manière? Dans quelles circonstances? L'oralité de ces pratiques rend l'appréhension de leur histoire difficile. L'inventaires des contes et légendes de la région prouve toutefois que certains événements notables, dans le Jura vaudois, ont perduré par ce biais. C'est le cas du cyclone qui frappa la Vallée en 1890, par exemple. Ou du diable de Mollens, individu peu scrupuleux, figure dans nombre d'histoires. Les contrebandiers sont également des personnages récurrents, toute comme les activités humaines traditionnelles que sont les métiers de la forge ou l'horlogerie.
Autrefois les contes se racontaient lors des veillées familiales, durant les longues soirées d'hiver. La transmission était essentiellement orale. Mais au XIXe siècle, l'industrialisation a entraîné de profonds changements sociaux. A cette époque, certains, comme l'écrivain vaudois Alfred Cérésole, s'inquiètent de la disparition de ces traditions régionales. Dans le Jura vaudois, plus récemment, Gilbert Rochat et Rémy Rochat ont accompli un formidable travail d'archive.
En effet, depuis les années 1970, le conte connait un renouveau dans le monde francophone. En Romandie, il existe désormais une formation qui, bien qu'elle ne soit pas reconnue officiellement, permet un transfert de compétences. Le rapport à la tradition orale s'articule désormais par écrit, mais aussi sur de nouveaux supports tels que les vidéos ou les podcasts. Les conteries d'aujourd'hui n'ont plus seulement l'accent d'une région mais s'inspirent du monde entier. La Nuit du conte est organisée chaque deuxième vendredi de novembre, en Suisse, depuis 1990. Elle permet aux enfants, comme aux adultes de faire marcher leur imagination, sans les ressorts visuels produits en surabondance par la société du XXIe siècle.
« Désormais, ce sont dans les livres ou sur le web que les conteurs trouvent leurs histoires. »
Un récit est qualifié de légende lorsqu'il fait référence à un endroit, un personnage ou un événement précis. Grâce à leur inscription locale, il est beaucoup question de légendes, dans le Jura vaudois. Les contes, quant à eux, ne concernent pas un endroit précis du temps ou de l'espace: ils ont une visée plus universelle. On retrouve par exemple des versions du Petit chaperon rouge, conte initiatique s'il en est, jusqu'en Chine! Il existe plusieurs catégories de contes. Ceux qui marquent les passages importants de la vie sont des contes initiatiques. Mais il en existe également qui expliquent l'origine des noms ou des phénomènes naturels (contes étiologiques). Les contes de féées, convoquent le merveilleux et comportent une morale implicite, tandis que d'autres mènent à une réflexion philosophique empreinte de sagesse.
Les contes ont pour visée d'apporter des enseignements généraux sur le monde et la vie, tandis que les légendes permettent de s'approprier des lieux précis.
Avec ses rudes hivers, ses forêts profondes et ses gouffres, le massif jurassien dans son ensemble inspire différentes formes de personnification de la nature. On y trouve, non seulement des fées, mais aussi des épicéas et des sapins rôdeurs! Les grottes servent de décor à de nombreuses histoires qui tantôt enchantent, tantôt effraient. Le lac de Joux, n'est pas en reste. Il est le lieu de pêches miraculeuses et de disparitions mystérieuses. Qu'ils soient sauvages ou domestiqués, les animaux sont souvent des personnages à part entière. Le loup, bien sûr, mais aussi les vaches, les chevaux et même les escargots.
« Avec leurs courbes harmonieuses facilement identifiables sur les cartes, s'étendent, au nord-ouest, les plis du Jura, massif calcaire soulevé lors de la formation des Alpes. Ils abritent un monde de hauts plateaux, de marais et de pâturages ombragés de sapins qui attirent le regard vers le lointain. [...] Mais les conteurs rêvaient aussi des grottes et couloirs souterrains creusés par l'eau dans le calcaire, où les hommes de jadis se seraient réfugiés pour échapper aux troubles des temps.»
Serge Golowin, Suisse, pays de légendes, Éditions Mondo, Vevey, 2001.