Le patrimoine culturel et les traditions vivantes du Parc naturel régional Jura vaudois en font une région unique! Ici, des femmes et des hommes font perdurer des pratiques, des connaissances et des savoir-faire immémoriaux. Transmis de génération en génération, ce patrimoine culturel immatériel, tel que défini par l'UNESCO, participe au sentiment d'identité et d'appartenance.
Le Parc Jura vaudois réalise un inventaire du patrimoine culturel immatériel sur son territoire. Cette démarche répond aux 4 missions centrées sur le développement durable, que la Confédération a confiées aux parcs naturels régionaux suisses.
Une première sélection a été effectuée parmi les différentes traditions vivantes dans le Parc :
Métiers de la forge — Contes et légendes — Horlogerie — Métiers du bois
Bien sûr, d'autres domaines pourraient être inventoriés. De même, il y a d'autres porteuses et porteurs de traditions dans la région, que celles et ceux présentés ici. Si vous pensez pouvoir apporter un point de vue différent ou complémentaire, nous vous invitons à contacter le Parc (info@parcjuravaudois.ch).
Les résultats de ces inventaires seront partagés ici, au fur et à mesure.
On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire — ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés — que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus, reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
Le patrimoine culturel immatériel est reconnu à différents niveaux. Au niveau cantonal, le Service des affaires culturelles (SERAC) répertorie de nombreuses traditions vivantes vaudoises. L'Office fédéral de la culture réunit à la fois celles des différents cantons et celles qui sont communes à toute la Suisse. Parmi les traditions helvétiques, certaines comme la Fête des vignerons ou l'art de la construction des murs en pierres sèches, sont inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO. La saison d'alpage est actuellement candidate.
MÉTIERS DE LA FORGE D'HIER À AUJOURD'HUI
Longtemps, le forgeron fabriquait les outils de tout le village, puis des spécialisations sont apparues: maréchal ferrant, serrurier-constructeur, ferronnier, fondeur de cloches ou fabricant de toupins. L'inventaire réalisé par le Parc naturel régional Jura vaudois a permis d'aller à la rencontre de ceux qui pratiquent encore ces métiers et font vivre les traditions qui les accompagnent.
Durant sa formation, plusieurs stages chez un Maître Compagnon, en France, lui ont permis d'enrichir son savoir-faire en tournemains, ruses et astuces dans le domaine de la ferronnerie d'art. Il exécute des travaux très divers: végétaux forgés, coutellerie, taillanderie, reconstruction d'objets archéologiques, etc. Un aperçu de tout ce que peut réaliser un forgeron.
[...] ce que je préfère, c'est créer en forgeant. [...] Une rose ou un arbre en métal, ça peut être très vivant. Le défi c'est, partir d'un morceau de barre de fer ou de tôle laminé industriellement, inerte et mort, puis de le travailler pour le rendre le plus vivant possible. Pour cela, il faut être bon observateur, mais aussi interpréter la nature et en styliser les caractéristiques. Cela a un côté vraiment poétique.
Pierre-André et Anthony Tschantz, la Forge du Camp - Bière
Pierre-André Tschantz a fondé sa forge à Bière, en 1982. C'était une forge de village classique. Il faisait un peu de tout: serrurerie, restauration, ferronnerie. Puis, ne pouvant plus porter de charges, il s'est mis à fabriquer des toupins. Son fils le rejoint et ils se sont spécialisés dans le toupin. Pierre-André est désormais à la retraite. C'est Anthony qui gère l'entreprise familiale.
On fait la maintenance du parc de sonnailles de la région. Vous ne verrez jamais quelqu'un jeter une cloche. Contrairement aux objets utilitaires actuels. Les airs campanaires, ça ne se jette jamais. On les conserve, on les transmet de génération en génération. Avec ou sans bétail. La conservation de ce patrimoine est importante pour pérenniser ce savoir-faire. [...] ça fait partie de notre culture.
Fasciné depuis toujours par le feu et le fer, il a suivi un apprentissage de serrurier-constructeur et de forgeron-maréchal. Sa spécialité, c'est la taillanderie, soit la fabrication d'outils servant à tailler ou à couper. Il s'inspire des armes médiévales et s'intéresse à la symbolique du forgeron ainsi qu'aux dimensions liées à l'énergie et à la matière.
Pour moi, forgeron c'est beaucoup plus qu'une simple profession. La forge, c'est l'endroit où se rencontrent tous les éléments: le feu, la terre, l'eau et l'air. [..] Avant, il y avait une symbolique très forte autour de la forge. On l'a perdue. [..] Et cette magie des savoirs métallurgiques, on la retrouve partout dans le monde. Dans les autres cultures, souvent les forgerons, ce sont des sorciers.
Écouter son témoignage
HISTOIRE
Le fer n'existe pas à l'état pur dans la nature, mais sous forme de roche minérale contenant des oxydes de fer. Des recherches ont mis à jour des traces de bas fourneaux datant de la période antique, dans les forêts entre La Sarraz et Romainmôtier. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, le fer est obtenu en chauffant des couches de minerai de fer et de charbon de bois dans des bas fourneaux. Dès cette époque, il faut distinguer ceux qui travaillent à extraire le minerai et ceux qui fabriquent des objets: des métiers très différents pourtant désignés par la même appellation, forgeron.
La construction de hauts fourneaux révolutionne cette industrie sidérurgique dès le XVIe siècle. Les forges s'installent au bord des cours d'eau. La force hydraulique actionne les soufflets et permet d'atteindre des températures pouvant aller jusqu'à 2000 degrés. On obtient alors de la fonte, dont l'utilisation est plus aisée. Vallorbe compte jusqu'à cinq hauts fourneaux et exporte sa production à travers toute l'Europe. Les quantités de charbon de bois nécessaires sont toutefois beaucoup plus importantes. Rapidement, les forêts du Jura souffrent de surexploitation. Après l'apogée de l'exploitation du fer dans le Jura vaudois au début du XVIIe, le minerai s'épuise, l'approvisionnement en charbon fait défaut et la déforestation guette. Ce qui entraîne la fermeture progressive des hauts fourneaux.
Jusqu'au XIXe siècle, les forgerons fabriquent souvent les outils de tout le village, y compris les outils agricoles. L'industrialisation entraîne la quasi disparition du travail manuel. Certains deviennent mécanicien agricoles d'autres se spécialisent.
MARÉCHAL FERRANT : En milieu rural, les forgerons sont souvent maréchaux ferrants. Francis Zimmermann, de Begnins, est né en 1934. Il aurait souhaité ferrer des chevaux, comme son père, mais après la guerre, faute de chevaux, il entreprend un apprentissage d'outilleur métallique puis se spécialise dans la fabrication de piquets de vigne. La maréchalerie existe toujours aujourd'hui, mais désormais les fers sont produits industriellement et le maréchal-ferrant se contente souvent de les poser.
De nos jours, le maréchal ferrant est plus un cordonnier pour chevaux, qui doit choisir les bons fers, bien les ajuster, qu'un véritable forgeron qui donne forme à une matière première.
COUTELIER-TAILLANDIER : La fabrication d'objets tranchants, de la hache au couteau en passant par la faux, attire de nombreux jeunes. Le Festival des couteliers, organisé chaque année par le Musée du fer et du chemin de fer leur permet de présenter leur travail dans la région.
FERRONNIER : Le métier de ferronnier d'art est le principal héritier des tournemains de forge qu'il utilise dans un but décoratif: barrières, portails, restauration d'objets historiques.
FABRICANT DE TOUPINS : A la différence des cloches, qui sont un mélange de bronze et d'étain fondu, les toupins sont en acier martelé par un forgeron. Il s'agit de matricer une feuille de tôle dans un moule en fonte pour obtenir une forme puis la mettre sous tension, à coups de marteau, pour obtenir un son. A Bière, la famille Tschanz perpétue ce savoir-faire. Pour les éleveurs, cloches et toupins font partie intégrante de la gestion des troupeaux, mais elles séduisent aussi de nombreux collectionneurs du patrimoine campanaire, à l'image d'Olivier Grandjean, à Juriens (Maison de la cloche).
Dynamiques actuelles
Autrefois, la forge était au centre du village. Chaque artisan dépendait du forgeron pour obtenir des outils. En période de guerre, les forgerons transformaient les outils en armes. Cristallisant le climat politique, le forgeron permettait à la population soit de se défendre, soit de travailler.
De nos jours, la place du forgeron a changé. Reste un imaginaire collectif très riche autour de ce personnage. Souvent représenté comme fort, grand, barbu et viril, le métier de forgeron n'est plus un bastion strictement masculin. Le Musée du fer compte notamment deux forgeronnes, dans son équipe.
Faute de candidat, le certificat fédéral de capacité (CFC) de forgeron a disparu. Le faible volume de travail, et son coût, ne permet plus de former des apprentis. Les gestes risquent d'être oubliés, accentuant encore le manque de continuité dans la transmission et la perte de ce savoir-faire.
Associé au bois et à la pierre, le fer est à la fois l'outil et le lien qui a bâti le monde. Ainsi, notre vieux continent s'est construit avec et grâce au fer forgé, et à son dérivé, l'acier, depuis deux mille ans. Et voici qu'il y a tout juste un demi-siècle, ce fer s'est retrouvé relégué au rang d'antiquité, tombé dans ce vaste domaine que l'on nomme patrimoine.
(Jacky Brandt, La ferronnerie d'art au Pays de Fribourg. Une question de feu sacré. Editions Cabédita, 2020)
TERRITOIRE
Le massif jurassien est riche en minerai de fer mais la configuration géologique des lieux rend souvent son exploitation compliquée. Le Poste des mines, entre autres, est l'un des hauts lieux de la sidérurgie à la Vallée de Joux [voir le reportage réalisé par ValTV en 2021]. Les forêts jurassiennes paient quant à elles un lourd tribut à l'activité sidérurgique. Exploitées depuis l'époque romaine, les futaies sont menacées à la fin du XVIIIe siècle. Seules une prise de conscience des communes et une législation bernoise très restrictive permettront de mettre fin à la pénurie de bois. Le paysage du Parc Jura vaudois d'aujourd'hui porte encore les traces de cet épisode. En effet, c'est suite à l'interdiction de l'utilisation du bois pour les clôtures que les murs en pierres sèches furent construits. Ils font désormais partie intégrante du patrimoine paysager du Jura vaudois.
Le Musée du Fer et du chemin de fer se trouve à Vallorbe et témoigne des riches heures de cette industrie dans le Jura vaudois. Ne manquez pas la nouvelle exposition!
CONTES ET LÉGENDES D'HIER À AUJOURD'HUI
De tous temps, en tous lieux, on a raconté des histoires. Certaines se perdent, d'autres se transmettent et nous parviennent de façon un peu mystérieuse. A force d'être racontés, transformés, adaptés par plusieurs générations, les récits acquièrent le statut de contes et de légendes. Dans le cadre de son inventaire du patrimoine culturel immatériel, le Parc naturel régional Jura vaudois est parti en quête des histoires qui hantent son territoire, mais aussi de celles et ceux qui les content.
Petite, Désirée Lauper assistait aux veillées, dans son Valais natal. Elle était déjà celle qui raconte et enjolive les anecdotes. Si bien qu'une amie lui recommande une formation de conteuse. Aujourd'hui, elle conte souvent à l'extérieur, au cœur de la nature qui l'inspire tant.
Je m'amuse comme une folle, quand je conte. Si une histoire ne me fait pas rire, ne me touche pas, j'aurais du mal à la raconter. J'aime amuser mon public, mais moi, je m'amuse aussi beaucoup. J'adore conter pour les enfants parce qu'ils sont tellement spontanés que c'est difficile de prévoir ce qu'il va se passer, comment ils vont réagir.
Comédienne, elle s'est initiée aux contes pour enrichir les cours de théâtre qu'elle propose. Littéralement envoûtée par un griot burkinabé, elle a adoré l'exercice. Une conteuse était née. Dans l'atelier de Mademoiselle F., elle propose spectacles, cours de théâtre, résidence d'artistes et moments contés. Des contes coquins pour adultes aux tartines de contes pour les familles, à l'heure du petit déjeuner: il y en a pour tous les goûts.
Partout, autour de la planète, on peut captiver un public avec rien. Juste une histoire et une voix. Ca a un côté vraiment magique. [...]Alors je vais souvent trouver les vieux, je les fais parler. [...] Et ces histoires, je les intègre à mes contes. Parce qu'elles font partie de l'imaginaire collectif, du mien comme de celui de mes interlocuteurs.
C'est lors d'un long trajet en voiture avec sa fille qu'Isabelle Livet découvre l'art de conter. C'est le déclic pour développer son activité de conteuse. Désormais, elle raconte des histoires à des publics très divers pour lesquels elle prend soin d'adapter le ton de sa voix, les mots et la durée du spectacle. Elle emmène les contes dans des lieux inédits: prisons ou centres de réinsertion et s'attache à aborder des problématiques d'actualité.
Le conte, c'est l'oralité pure. Ce n'est pas de la lecture, même si on trouve nos contes dans des livres, et heureusement! Ils sont essentiels aujourd'hui pour sortir les gens des écrans, même si c'est un défi d'intéresser sans images, juste avec notre présence et notre voix.
En 1536, les Bernois conquièrent le canton de Vaud et y imposent la Réforme. La légende raconte que les moines de L'Abbaye, fuyant leur monastère avec missels et reliquaires, emportèrent la cloche d'argent de leur église sur le bateau qui les emmenait au Lieu. Las, celle-ci, dans un remous, tomba de la frêle embarcation au fond du lac de Joux. Il semble que parfois, elle tinte encore. Pour l'entendre, il faut avoir le cœur d'un saint et les oreilles d'un poète.Cette anecdote souligne le cadre historique dans lequel s'inscrivent les traditions orales, dans le Parc naturel régional Jura vaudois. En effet, il semble que la pauvreté du répertoire conté de la région s'explique, en partie, par la volonté calviniste d'interdire tous les récits non bibliques. Les récits populaires semblent plus nombreux dans les cantons catholiques.
Qui contait? De quelle manière? Dans quelles circonstances? L'oralité de ces pratiques rend l'appréhension de leur histoire difficile. L'inventaires des contes et légendes de la région prouve toutefois que certains événements notables, dans le Jura vaudois, ont perduré par ce biais. C'est le cas du cyclone qui frappa la Vallée en 1890, par exemple. Ou du diable de Mollens, individu peu scrupuleux, figure dans nombre d'histoires. Les contrebandiers sont également des personnages récurrents, toute comme les activités humaines traditionnelles que sont les métiers de la forge (voire l'onglet correspondant) ou l'horlogerie.
Autrefois les contes se racontaient lors des veillées familiales, durant les longues soirées d'hiver. La transmission était essentiellement orale. Mais au XIXe siècle, l'industrialisation a entraîné de profonds changements sociaux. A cette époque, certains, comme l'écrivain vaudois Alfred Cérésole, s'inquiètent de la disparition de ces traditions régionales. Dans le Jura vaudois, plus récemment, Gilbert Rochat et Rémy Rochat ont accompli un formidable travail d'archive.
Dynamiques actuelles
En effet, depuis les années 1970, le conte connait un renouveau dans le monde francophone. En Romandie, il existe désormais une formation qui, bien qu'elle ne soit pas reconnue officiellement, permet un transfert de compétences. Le rapport à la tradition orale s'articule désormais par écrit, mais aussi sur de nouveaux supports tels que les vidéos ou les podcasts. Désormais, ce sont dans les livres ou sur le web que les conteurs et conteuses trouvent leurs histoires. Les conteries d'aujourd'hui n'ont plus seulement l'accent d'une région mais s'inspirent du monde entier. La Nuit du conte est organisée chaque deuxième vendredi de novembre, en Suisse, depuis 1990. Elle permet aux enfants, comme aux adultes de faire marcher leur imagination, sans les ressorts visuels produits en surabondance par la société du XXIe siècle.
Contes ou légendes?
Un récit est qualifié de légende lorsqu'il fait référence à un endroit, un personnage ou un événement précis. Grâce à leur inscription locale, il est beaucoup question de légendes, dans le Jura vaudois. Les contes, quant à eux, ne concernent pas un endroit précis du temps ou de l'espace: ils ont une visée plus universelle. On retrouve par exemple des versions du Petit chaperon rouge, conte initiatique s'il en est, jusqu'en Chine! Il existe plusieurs catégories de contes. Ceux qui marquent les passages importants de la vie sont des contes initiatiques. Mais il en existe également qui expliquent l'origine des noms ou des phénomènes naturels (contes étiologiques). Les contes de féées, convoquent le merveilleux et comportent une morale implicite, tandis que d'autres mènent à une réflexion philosophique empreinte de sagesse.
Les contes ont pour visée d'apporter des enseignements généraux sur le monde et la vie, tandis que les légendes permettent de s'approprier des lieux précis.
TERRITOIRE
Avec ses rudes hivers, ses forêts profondes et ses gouffres, le massif jurassien dans son ensemble inspire différentes formes de personnification de la nature. On y trouve, non seulement des fées, mais aussi des épicéas et des sapins rôdeurs! Les grottes servent de décor à de nombreuses histoires qui tantôt enchantent, tantôt effraient. Le lac de Joux, n'est pas en reste. Il est le lieu de pêches miraculeuses et de disparitions mystérieuses. Qu'ils soient sauvages ou domestiqués, les animaux sont souvent des personnages à part entière. Le loup, bien sûr, mais aussi les vaches, les chevaux et même les escargots.
Avec leurs courbes harmonieuses facilement identifiables sur les cartes, s'étendent, au nord-ouest, les plis du Jura, massif calcaire soulevé lors de la formation des Alpes. Ils abritent un monde de hauts plateaux, de marais et de pâturages ombragés de sapins qui attirent le regard vers le lointain. [...] Mais les conteurs rêvaient aussi des grottes et couloirs souterrains creusés par l'eau dans le calcaire, où les hommes de jadis se seraient réfugiés pour échapper aux troubles des temps.
(Serge Golowin, Suisse, pays de légendes, Editions Mondo, Vevey, 2001, pages 8 à 10)