Le patrimoine culturel et les traditions vivantes du Parc naturel régional Jura vaudois en font une région unique! Ici, des femmes et des hommes font perdurer des pratiques, des connaissances et des savoir-faire immémoriaux. Transmis de génération en génération, ce patrimoine culturel immatériel, tel que défini par l'UNESCO, participe au sentiment d'identité et d'appartenance.
Le Parc Jura vaudois réalise un inventaire du patrimoine culturel immatériel sur son territoire. Cette démarche répond aux 4 missions centrées sur le développement durable, que la Confédération a confiées aux parcs naturels régionaux suisses.
Une première sélection a été effectuée parmi les différentes traditions vivantes dans le Parc :
Métiers de la forge — Contes et légendes — Horlogerie — Métiers du bois
Bien sûr, d'autres domaines pourraient être inventoriés. De même, il y a d'autres porteuses et porteurs de traditions dans la région, que celles et ceux présentés ici. Si vous pensez pouvoir apporter un point de vue différent ou complémentaire, nous vous invitons à contacter le Parc (info@parcjuravaudois.ch).
Les résultats de ces inventaires seront partagés ici, au fur et à mesure.
On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire — ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés — que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus, reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
Le patrimoine culturel immatériel est reconnu à différents niveaux. Au niveau cantonal, le Service des affaires culturelles (SERAC) répertorie de nombreuses traditions vivantes vaudoises. L'Office fédéral de la culture réunit à la fois celles des différents cantons et celles qui sont communes à toute la Suisse. Parmi les traditions helvétiques, certaines comme la Fête des vignerons ou l'art de la construction des murs en pierres sèches, sont inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO. La saison d'alpage est actuellement candidate.
Le projet Culture et savoir-faire régionaux est soutenu par la Fondation philanthropique Famille Sandoz.
L'HORLOGERIE, D'HIER À AUJOURD'HUI
Les savoir-faire horlogers, principalement ceux des manufactures combières, font partie du patrimoine culturel immatériel du Parc Jura vaudois. Intimement liés au territoire, ces métiers ont su évoluer et constituent toujours une part importante de l'économie locale.
Les actrices et acteurs du monde horloger, dans le Parc Jura vaudois
Aujourd'hui une vingtaine de manufactures horlogères sont installées dans le Parc Jura vaudois, plus spécifiquement à la Vallée de Joux. Elles comptes plusieurs milliers d'employés, auxquels s'ajoutent les nombreux indépendants, dont certains perpétuent un savoir-faire artisanal. Ce sont principalement ces artisans et artisanes qui ont été interviewés, dans le cadre de cet inventaire. Tous ne sont pas présentés ici, mais ils sont cités dans la fiche, disponible en téléchargement ci-dessous.
Née à la Vallée de Joux, Carole Harlé-Voutaz a repris l'entreprise que son grand-père avait créée dans les années 1970. Cette dernière est spécialisée dans la revalorisation de produits anciens comme des montres pendentifs, bagues, de poche ou d'anciens chronographe Valjoux. Assistante de direction de formation, elle s'occupe de la partie administrative tandis que les tâches horlogères sont déléguées à des artisans indépendants.
« C'est génial qu'on puisse encore utiliser des composants qui étaient fabriqués à l'époque de mon grand-papa. Faire de l'upcycling demande beaucoup de travail, car plus rien ne correspond à ce qui se faisait avant! Il faut s'adapter à l'ancien. Pour notre horlogère, c'est assez laborieux, mais heureusement, elle aime chercher et trouver des solutions. »
Enfant de la Vallée de Joux, il suit une formation d'horloger à l'École Technique, puis collabore, avec son père, au magasin d'horlogerie du Sentier. En 2008, il ouvre un centre d'initiation dans son ancienne ferme horlogère rénovée. Sur deux jours, il propose aux néophytes de suivre un cours et d'assembler leur propre montre squelette. Formule qui rencontre un joli succès.
« Avec leur façade agrémentée de « lignées de fenêtres », les fermes-horlogères sont les témoins des ateliers historiques datant d'avant l'ère industrielle, quand nos aïeux étaient des paysans-horlogers. Il y a une partie pour les travaux extérieurs et une autre partie où, confinés par la rudesse de l'hiver, ils utilisaient leur savoir-faire à la production de mécanismes horlogers. »
Le développement de l'horlogerie est intimement liée au territoire des hautes vallées du Jura. L'hiver y est long, rude. Il garde les hommes à l'intérieur et coupe les voies de communication. Le travail agricole est ralenti. Il faut trouver une activité permettant de compenser le manque à gagner. L'exploitation du fer et l'essor des forges, entre autres, ont joué ce rôle-là. Les habitants de la Vallée de Joux, les Combiers, ont pris l'habitude de travailler le métal et, surtout, de fabriquer leurs propres outils. Lorsque l'horlogerie a fait son apparition, dans l'arc lémanique, ils y ont vu une opportunité. Dès 1750 se développent les fermes-horlogères. Les hommes sont paysans l'été et mécaniciens de précision durant l'hiver. L'architecture de leurs habitations témoigne de cette double activité: granges et étables abritent foin et bétail pendant l'hiver, tandis qu'une lignée de fenêtres, percée dans la façade la mieux exposée indique la présence d'un atelier. La lumière du soleil réverbérée par la neige offre un éclairage naturel indispensable aux travaux minutieux des horlogers. De nos jours, une vingtaine de fermes-horlogères sont encore visibles à la Vallée.
La religion a, elle aussi, joué son rôle dans l'essor de l'horlogerie. Parmi les nombreux réfugiés huguenots français fuyant la révocation de l'Édit de Nantes en 1685, plusieurs famille comme les LeCoultre étaient horlogers et ont apporté leur savoir-faire en s'installant à la Vallée de Joux. La religion réformée interdisant tout signe extérieur de richesse, seuls les garde-temps, considérés comme des objets utiles, échappaient à cette interdiction. Beaucoup de bijoutiers se reconvertirent donc dans la fabrication de montres, rivalisant d'ingéniosité.
« De nos jours, plus personne n'achète une montre pour avoir l'heure.»
Au fil des soubresauts de l'histoire, les pôles horlogers se déplacent. Finalement, au XXe siècle, la géographie horlogère se stabilise avec 90% des effectifs dans l'Arc jurassien. Comme ailleurs, l'industrialisation s'impose et exige des investissements financiers conséquents. Le nom des grandes marques combières comme Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre, Blancpain ou Breguet éclipse celui des horlogers qui conçoivent ces mouvements d'exception. Les paysans-horlogers de jadis travaillent désormais en fabrique, comme salariés. Les usines restent toutefois de taille relativement modestes à la Vallée de Joux. La crise des années 1930 porte un sérieux coup d'arrêt à l'horlogerie avant que la crise du quartz, dans les années 1970-1980, n'oblige le secteur à se rationaliser. La création de grands groupes horlogers, tout comme la restructuration du système de production et le repositionnement sur le marché du luxe assureront à l'horlogerie suisse sa place de leader. D'objet utile, la montre est devenue un marqueur social.
GÉOGRAPHIE
Un territoire isolé tout en étant proche de Genève, de longs hivers, une luminosité particulièrement vive grâce à l'abondante couche de neige : les conditions étaient réunies pour favoriser l'essor de l'artisanats horloger dans le Jura vaudois, comme dans tout l'arc jurassien, et par-delà les frontières nationales. En Suisse, de Schaffhouse à Genève se dessinait une sorte de géographie des métiers: les fabricants de machines se trouvaient à Bâle et dans le Canton du Jura, ceux qui s'étaient spécialisés dans l'usinage de pièces, dans le Jura bernois. Le canton de Neuchâtel était réputé dans l'habillage et les boîtes de montre, la Vallée de Joux pour ses mouvements. Le produit fini se vendait dans les boutiques genevoises.
Aujourd'hui, cette répartition géographique n'est plus si stricte, mais chaque région revendique tout de même des traditions spécifiques.
Si, dans les premières « fermes-horlogères » les savoir-faire se transmettaient principalement de père en fils, dès le XIXe siècle, des apprentis ont été formé. Fondée en 1901, l'École Technique de la Vallée de Joux devient rapidement une référence. Aujourd'hui, la filière s'est diversifiée. Le plan d'études pour les formations initiales est conçu en collaboration avec des représentants des entreprises et des manufactures afin que les jeunes soient formés aux technologies du marché. Le nombre d'élèves atteint désormais plusieurs centaines, dont seuls 10 à 15% viennent de la Vallée.
Les métiers de l'horlogerie, très nombreux, sont divisés en cinq domaines: 1. la fabrication (pièces et outillage). 2. la conception (design et dessins). 3. les mouvements (fonctionnement mécanique et automatique). 4. l'habillage (cadrans et habillage). 5. la décoration (bijouterie ou gravure). La formation propose de nombreuses options, mais l'Ecole technique de la Valllée de Joux (ETVJ) reste une référence.
DYNAMIQUES ACTUELLES
Identité combière - transmission - secret
La Vallée de Joux est le berceau des montres à grandes complications: calendriers, sonneries, chronographes, phases de lunes, etc. La proximité de Genève, offrait un marché important pour ces pièces luxueuses. La plupart des personnes interrogées revendiquent cette spécialisation. Beaucoup considèrent certaines pièces comme de véritables œuvres d'art dont les étapes de fabrication restent jalousement gardées. La légende veut que certains vieux horlogers soient morts avec leurs secrets de fabrication.
Le métier d'«horloger» il est vrai, recouvre des activités hétérogènes et des trajectoires très diverses. Certains redoutent que les gestes d'antan soient peu à peu remplacés par des robots et que des compétences se perdent faute de transmission intergénérationnelles.
Genre
Pendant longtemps, les femmes ont œuvré essentiellement comme « petites mains », sans avoir le statut d'ouvrière parce qu'elles travaillaient à temps partiel, parfois à la maison. Leurs tâches étaient souvent répétitives et peu valorisées. Elles sont aujourd'hui plus nombreuses, principalement dans les métiers de la décoration, du marketing et de la communication. Elles restent toutefois minoritaires dans les métiers techniques.
Cette problématique complexe concerne tout le secteur de l'horlogerie. Seuls quelques artisans assez connus peuvent se permettre de réaliser leurs montres entièrement, tant il est difficile de rentabiliser toutes les étapes de la création d'un garde-temps moderne. La généralisation de la sous-traitance, dans les grandes entreprises horlogères permet de réagir plus rapidement à l'évolution du marché. Les sous-traitants ont aussi l'occasion de diversifier leur portefeuille de clients voire leurs activités.
Les frontaliers
Sur les 8'000 emplois dans les manufactures horlogères que compte la Vallée de Joux, la moitié est occupée par des frontaliers qui, quotidiennement, traversent la frontière franco-suisse. L'absence d'une offre de transports publiques adéquate posent quelques problèmes de trafic. Des solutions de covoiturage sont notamment mises en place pour y remédier.
Télécharger la fiche d'inventaire pour plus d'informations: Fiche 04_Horlogerie
MÉTIERS DU BOIS, D'HIER À AUJOURD'HUI
Avec un territoire recouvert pour plus de la moitié par la forêt, la transformation du bois est une activité importante, dans le Parc Jura vaudois. Outre l'industrie forestière, l'artisanat du bois est une tradition bien vivante. Des boîtes à Vacherin Mont-d'Or AOP aux skateboards, en passant par les guitares ou les tavillons, les savoir-faire sont constamment réinventés par celles et ceux qui les pratiquent au quotidien.
Les artisanes et artisans du bois, dans le Parc Jura vaudois
Plusieurs artisanes et artisans du bois, ainsi que des spécialistes du patrimoine rural, ont été interviewés, dans le cadre de cet inventaire, tous ne sont pas présentés ici, mais ils sont cités dans la fiche d'inventaire, disponible en téléchargement ci-dessous.
Originaire de Besançon (F), il s'est d'abord orienté vers une école de garde forestier. Suite à des problèmes de dos, il abandonne la profession de sylviculteur et se forme au métier d'ébéniste. Installé à Juriens, il mélange matières, techniques anciennes et défis innovants.
A partir de neuf, dix ans, c'était clair et net que je serai garde forestier ou ébéniste. Pourquoi? Je n'en sais trop rien. [...] Et voilà, j'ai été sélectionné, parmi les douze, alors qu'on était quand même plus de deux cents sur ce concours. On était pas jugé sur notre niveau scolaire, mais sur ce qu'on avait dans les tripes. Ils évaluaient notre passion et nos connaissances de la forêt.
Après avoir monté son entreprise forestière à la Vallée, il a investi dans les boîtes à Vacherin Mont-d'Or AOP, que plus personne ne fabriquait. L'appellation d'origine protégée exigeant l'utilisation de bois local, l'entreprise Valartibois a ouvert ses portes au Lieu en 2021, avec le soutien de producteurs et d'affineurs de fromages. Pascal Rachet et son épouse produisent les pièces en épicéa et montent les boîtes pour la quasi totalité des vacherins produits en Suisse (800'000 unités d'emballage par an).
En levant les sangles, et en voyant que les vieux fabricants de boîtes arrivaient tous à la retraite, ça m'a donné envie de faire des boîtes. A la base, je m'étais dit que c'était un à côté sympa au travail de bûcheron, pour être au chaud, l'hiver. Alors j'ai trouvé deux agrafeuses et on travaillait juste avec ma femme.
A la suite d'un voyage en Australie, Laetitia Urfer est tombée amoureuse du surf. Avec Marius Boulaz, bûcheron débardeur, ils ont rapidement l'idée de construire des planches de surf décoratives en bois. Dans leur boutique de Romainmôtier, elle se consacre désormais, en grande partie, à la décoration de planches en bois, notamment pour des commandes personnalisées. Il leur tient à cœur de travailler avec du bois local et de tout faire, de A à Z.
J'ai toujours dessiné. Vraiment. Depuis que je suis en âge de tenir un stylo. J'ai toujours adoré ça. J'ai l'impression que je m'améliore parce que quand je regarde les toutes premières planches qu'on faisait, elles sont moins poussées dans les détails. C'est beau à voir, je trouve, parce que ça prouve que plus on travaille, mieux c'est.
Né à la Vallée de Joux, fils de menuisier, Laurent Golay est féru de snowboard. Il a transformé l'entreprise familiale pour fabriquer ses propres engins de glisse. Dans leur atelier du Brassus, Laurent et Patrizia Golay proposent skate, surf, paddle, powsurf avec le souci des fournitures locales et de la bienfacture artisanale.
Ce qui me plaît le plus, c'est de créer et d'inventer de nouveaux produits. C'est vraiment la partie qui me booste et que je trouve la plus cool. Ma femme me dit souvent d'arrêter de faire de nouveaux trucs. Parce que moi, quand j'en ai fini un, je suis déjà sur le prochain. Reproduire un même objet n'est pas assez créatif et je n'ai pas l'impression d'avancer.
C'est durant sa scolarité, qu'il rencontre Jeanmichel Capt, alors enseignant, et construit sa toute première guitare. Plus tard, c'est dans l'atelier de lutherie JMC, au Brassus, qu'il fait son apprentissage. Désormais installé à L'Abbaye, l'élève a rejoint le maître. Il fabrique différents types de guitares et porte un soin tout particulier à la rencontre et aux échanges avec les musiciens qui lui commandent des instruments.
Ce que j'aime, dans la guitare, c'est que c'est extrêmement diversifié. Dans les guitares acoustiques, on a autant des guitares à flamencas à cordes nylon, que des guitares dites folk, avec des cordes métalliques. [...] Je n'aime pas faire des copies, en fait. Même si c'est la copie d'un standard. J'aime pouvoir changer.
Dans le Jura vaudois, l'exploitation du bois débute avec les premiers défrichements, autour des monastères installés à Romainmôtier, L'Abbaye ou à l'Abbaye de Bonmont, à Chéserex. L'objectif consiste à ouvrir des pâturages et fournir du bois de construction et de chauffe. Ces déboisements entraînent la création d'un paysage emblématique des crêtes jurassiennes: le pâturage boisé. La pression s'intensifie sur le milieu forestier et les ressources en bois, durant tout le Moyen Âge (voire Fiche 01 Les métier de la forge). De nombreux métiers en lien avec le bois se développent: boisselier, sabotier, charron, charbonnier, charpentier, etc. Leur essor est fortement lié à l'économie de subsistance. L'hiver venu, chaque paysan devient aussi bûcheron. Si le bois de construction est débardé avec des chevaux, le bois de chauffe est principalement ramassé en forêt. Avec l'essor de la société industrielle, ces pratiques et savoir-faire ont, en grande partie, disparus. Ou, comme dans les secteurs de l'ébénisterie, de la charpente ou de la menuiserie, ils ont considérablement évolué.
Dans le cadre de l'inventaire des patrimoines culturels immatériels mené par le Parc naturel régional Jura vaudois, tous les acteurs de la filière bois n'ont pas été interviewés. Leurs pratiques devaient être rattachées aux traditions vivantes. La plupart relèvent de l'artisanat. Scieurs à façon, ébénistes d'art, tavillonneurs, luthiers, facteurs d'instruments ou artisans d'art assurent à la fois la transmission de pratiques et de connaissances anciennes, tout en les réinventant. C'est notamment le cas pour les constructeurs de skateboards ou de planches de surf, dignes héritiers des fabricants de skis en bois du siècle passé.
Auparavant, les scieries utilisaient la force hydraulique. Jacques Berney est la mémoire des scieries combières. Il se souvient du temps où une quinzaine d'entre elles fonctionnaient, à la Vallée, avant que l'automatisation et les exigences de rentabilité ne sonnent le glas des installations artisanales. Certaines subsistent, comme celle de Clerval à L'Abbaye reprise par Jean-Victor Bonny ou celle d'Olivier Crisinel, à Moiry. Ils scient à façon, pour des particuliers peu pressés et amoureux des anciennes techniques.
MENUISIERS ÉBÉNISTES
L'arrivée des matériaux composites a considérablement bouleversé les métiers de la menuiserie et de l'ébénisterie. Plusieurs professionnels se sont alors, réorientés vers une expression plus artistique de leurs savoir-faire. C'est le cas de Cédéric Guhl qui propose une variante de la marqueterie traditionnelle à l'enseigne de Jouxboiserie, au Pont, de Pascal Limito dont l'atelier se trouve à Juriens ou d'Yvan Freiholz, dont l'entreprise Bois libre créations, est installée aux Charbonnières.
TAVILLONNEURS
L'histoire de ces planchettes de bois, longues d'une quarantaine de centimètres pour cinq millimètres d'épaisseur, est révélatrice de l'évolution du patrimoine. Longtemps, les bardeaux ont dominé. Posés côte à côte et maintenus par des perches lestées de pierres, ils ne pouvaient être installés que sur des toits peu pentus. Or, à la Vallée de Joux, l'accumulation de neige entraîne régulièrement l'effondrement des toits. Les tavillons apparaissent au cours du XVIIIe siècle, mais ils se répandent lentement, car les clous, alors forgés à la main, sont rares et chers. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que des clouteries s'installent dans la région, permettant l'essor du tavillon. Au XIXe siècle, toutefois, leur remplacement, par des toitures en tôle, est popularisé par les campagnes de préventions des incendies. Les tavillons perdurèrent en façade, où leur longévité peut atteindre une centaine d'années, contre trente à quarante ans, sur un toit.
Pour la plupart des artisans du Jura vaudois, le tavillonnage est un à-côté. Les commandes sont aléatoires, les revenus aussi et le savoir-faire se perd bien que ce métier ait été inscrit, par la Confédération, au patrimoine culturel immatériel suisse. Plusieurs professionnels s'attachent à le faire perdurer, notamment Martial Reymond et Denis Reymond. La question du recours, ou non, à des machines de sciage est révélatrice des tensions qui sous-tendent l'évolution des pratiques traditionnelles.
LUTHIERS ET FACTEURS D’INSTRUMENTS
Il est difficile de savoir quand les propriétés de résonance de certains bois du massif du Risoud furent découvertes. Toutefois, elles font désormais partie d’une forme de mythologie, dans cette forêt qui abrite d'innombrables légendes. Plusieurs facteurs d’instruments sont aujourd’hui installés à la Vallée de Joux : Yannick van Hove, facteur de clavecins ; Adrien Roldan/Alias Instruments et Jeanmichel Capt/Au travers des mains, spécialisés dans les guitares ou Claude Luisier, qui innove, avec les balafons. Au Pied du Jura, à Premier, Hans-Martin Bader est également un personnage réputé loin à la ronde, pour ses violons. Artisans d’art plutôt que professionnels du bois, ils perpétuent des savoir-faire ancestraux tout restant ouverts au monde dont leurs instruments se font l'écho.
C'est un métier qui vous occupe toute une vie. On y pense même la nuit! Ça demande une immense expérience professionnelle. Mais ça reste un défi, chaque fois. (Hans-Martin Bader)
Tous doivent faire face aux défis économiques propres aux activités artisanales, mais revendiquent indépendance et créativité. Durabilité et proximité sont des arguments importants, qui leur permettent de se positionner dans ces marchés de niche.
LES METIERS DU BOIS ET DU VACHERIN
La fabrication du Vacherin Mont-d’Or AOP est une spécialité du Jura vaudois intimement liée au travail du bois. En effet, ce fromage à pâte molle est entouré d’une sangle d’épicéa puis présenté dans une boîte, fabriquée à partir de la même essence. Deux métiers du bois traditionnels très spécifiques sont liés à cette production : la levée de sangle et la fabrication de boîtes.
DYNAMIQUES ACTUELLES
Genre
La catégorisation des métiers du bois comme plutôt masculins est, en partie, liée à la pénibilité des tâches à accomplir. Marianne Golay, pourtant, a levé des sangles à vacherin pendant de nombreuses années. Plusieurs femmes, à l’image de Patrizia Golay, Martine Rachet ou Madame Berney, jouent un rôle clé dans l’entreprise, bien que leur travail souffre d’une certaine invisibilité. Hommes ou femmes, les artisans cherchent aujourd'hui à varier les tâches afin de moins s’abîmer physiquement.
Durabilité
Beaucoup d’artisans ont mentionné leur attachement au bois local. Certains cultivent une relation très étroite avec les forêts qui leur fournissent de la matière première. Il est toutefois de plus en plus difficile de se procurer du bois massif de proximité. Certains, comme Marius Boulaz, choisissent de l'abattre eux-mêmes.
« La provenance du bois préoccupe les acteurs de la branche et cristallise les problématiques actuelles du développement durable face à un monde globalisé.»
Les gens du bois sont en première ligne pour observer l'influence de la nature, qu’il s’agisse des phases de lune ou du changement climatique.
Inventer et vendre
Comment estimer le juste prix de son travail ? Cette question préoccupe. Les heures passées sur l’établi sont souvent trop nombreuses pour être réellement facturées. Et, tout le monde n’est pas commerçant, en plus d'être artisan. Internet et les réseaux sociaux exigent une présence régulière, mais peuvent ouvrir de nouvelles perspectives commerciales. La réputation des artisanes et artisans du Parc Jura vaudois s’étend ainsi loin à la ronde.
Étymologiquement, Joux, tout comme Jura seraient des dérivés du mot gaulois juris qui signifie forêt de sapins. Caractéristique des massifs jurassiens, l'épicéa est l'une des essences les plus utilisées, tant pour les tavillons que pour les boîtes à vacherin ou la lutherie. Deux forêts sont particulièrement réputées, sur le territoire du Parc Jura vaudois. La forêt du Risoud, à la Vallée de Joux connue pour son bois de résonance et le Bois de Chênes de Genolier, qui recèle une réserve forestière intégrale et scientifique depuis 1961. L'Arboretum du Vallon de L'Aubonne propose une collection d'arbres remarquables et abrite un Musée du bois.
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Longtemps, le forgeron fabriquait les outils de tout le village, puis des spécialisations sont apparues: maréchal ferrant, serrurier-constructeur, ferronnier, fondeur de cloches ou fabricant de toupins. L'inventaire réalisé par le Parc naturel régional Jura vaudois a permis d'aller à la rencontre de ceux qui pratiquent encore ces métiers et font vivre les traditions qui les accompagnent.
Durant sa formation, plusieurs stages chez un Maître Compagnon, en France, lui ont permis d'enrichir son savoir-faire en tournemains, ruses et astuces dans le domaine de la ferronnerie d'art. Il exécute des travaux très divers: végétaux forgés, coutellerie, taillanderie, reconstruction d'objets archéologiques, etc. Un aperçu de tout ce que peut réaliser un forgeron.
[...] ce que je préfère, c'est créer en forgeant. [...] Une rose ou un arbre en métal, ça peut être très vivant. Le défi c'est, partir d'un morceau de barre de fer ou de tôle laminé industriellement, inerte et mort, puis de le travailler pour le rendre le plus vivant possible. Pour cela, il faut être bon observateur, mais aussi interpréter la nature et en styliser les caractéristiques. Cela a un côté vraiment poétique.
Pierre-André et Anthony Tschantz, la Forge du Camp - Bière
Pierre-André Tschantz a fondé sa forge à Bière, en 1982. C'était une forge de village classique. Il faisait un peu de tout: serrurerie, restauration, ferronnerie. Puis, ne pouvant plus porter de charges, il s'est mis à fabriquer des toupins. Son fils le rejoint et ils se sont spécialisés dans le toupin. Pierre-André est désormais à la retraite. C'est Anthony qui gère l'entreprise familiale.
On fait la maintenance du parc de sonnailles de la région. Vous ne verrez jamais quelqu'un jeter une cloche. Contrairement aux objets utilitaires actuels. Les airs campanaires, ça ne se jette jamais. On les conserve, on les transmet de génération en génération. Avec ou sans bétail. La conservation de ce patrimoine est importante pour pérenniser ce savoir-faire. [...] ça fait partie de notre culture.
Fasciné depuis toujours par le feu et le fer, il a suivi un apprentissage de serrurier-constructeur et de forgeron-maréchal. Sa spécialité, c'est la taillanderie, soit la fabrication d'outils servant à tailler ou à couper. Il s'inspire des armes médiévales et s'intéresse à la symbolique du forgeron ainsi qu'aux dimensions liées à l'énergie et à la matière.
Pour moi, forgeron c'est beaucoup plus qu'une simple profession. La forge, c'est l'endroit où se rencontrent tous les éléments: le feu, la terre, l'eau et l'air. [..] Avant, il y avait une symbolique très forte autour de la forge. On l'a perdue. [..] Et cette magie des savoirs métallurgiques, on la retrouve partout dans le monde. Dans les autres cultures, souvent les forgerons, ce sont des sorciers.
Écouter son témoignage
HISTOIRE
Le fer n'existe pas à l'état pur dans la nature, mais sous forme de roche minérale contenant des oxydes de fer. Des recherches ont mis à jour des traces de bas fourneaux datant de la période antique, dans les forêts entre La Sarraz et Romainmôtier. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, le fer est obtenu en chauffant des couches de minerai de fer et de charbon de bois dans des bas fourneaux. Dès cette époque, il faut distinguer ceux qui travaillent à extraire le minerai et ceux qui fabriquent des objets: des métiers très différents pourtant désignés par la même appellation, forgeron.
La construction de hauts fourneaux révolutionne cette industrie sidérurgique dès le XVIe siècle. Les forges s'installent au bord des cours d'eau. La force hydraulique actionne les soufflets et permet d'atteindre des températures pouvant aller jusqu'à 2000 degrés. On obtient alors de la fonte, dont l'utilisation est plus aisée. Vallorbe compte jusqu'à cinq hauts fourneaux et exporte sa production à travers toute l'Europe. Les quantités de charbon de bois nécessaires sont toutefois beaucoup plus importantes. Rapidement, les forêts du Jura souffrent de surexploitation. Après l'apogée de l'exploitation du fer dans le Jura vaudois au début du XVIIe, le minerai s'épuise, l'approvisionnement en charbon fait défaut et la déforestation guette. Ce qui entraîne la fermeture progressive des hauts fourneaux.
Jusqu'au XIXe siècle, les forgerons fabriquent souvent les outils de tout le village, y compris les outils agricoles. L'industrialisation entraîne la quasi disparition du travail manuel. Certains deviennent mécanicien agricoles d'autres se spécialisent.
MARÉCHAL FERRANT : En milieu rural, les forgerons sont souvent maréchaux ferrants. Francis Zimmermann, de Begnins, est né en 1934. Il aurait souhaité ferrer des chevaux, comme son père, mais après la guerre, faute de chevaux, il entreprend un apprentissage d'outilleur métallique puis se spécialise dans la fabrication de piquets de vigne. La maréchalerie existe toujours aujourd'hui, mais désormais les fers sont produits industriellement et le maréchal-ferrant se contente souvent de les poser.
De nos jours, le maréchal ferrant est plus un cordonnier pour chevaux, qui doit choisir les bons fers, bien les ajuster, qu'un véritable forgeron qui donne forme à une matière première.
COUTELIER-TAILLANDIER : La fabrication d'objets tranchants, de la hache au couteau en passant par la faux, attire de nombreux jeunes. Le Festival des couteliers, organisé chaque année par le Musée du fer et du chemin de fer leur permet de présenter leur travail dans la région.
FERRONNIER : Le métier de ferronnier d'art est le principal héritier des tournemains de forge qu'il utilise dans un but décoratif: barrières, portails, restauration d'objets historiques.
FABRICANT DE TOUPINS : A la différence des cloches, qui sont un mélange de bronze et d'étain fondu, les toupins sont en acier martelé par un forgeron. Il s'agit de matricer une feuille de tôle dans un moule en fonte pour obtenir une forme puis la mettre sous tension, à coups de marteau, pour obtenir un son. A Bière, la famille Tschanz perpétue ce savoir-faire. Pour les éleveurs, cloches et toupins font partie intégrante de la gestion des troupeaux, mais elles séduisent aussi de nombreux collectionneurs du patrimoine campanaire, à l'image d'Olivier Grandjean, à Juriens (Maison de la cloche).
Dynamiques actuelles
Autrefois, la forge était au centre du village. Chaque artisan dépendait du forgeron pour obtenir des outils. En période de guerre, les forgerons transformaient les outils en armes. Cristallisant le climat politique, le forgeron permettait à la population soit de se défendre, soit de travailler.
De nos jours, la place du forgeron a changé. Reste un imaginaire collectif très riche autour de ce personnage. Souvent représenté comme fort, grand, barbu et viril, le métier de forgeron n'est plus un bastion strictement masculin. Le Musée du fer compte notamment deux forgeronnes, dans son équipe.
Faute de candidat, le certificat fédéral de capacité (CFC) de forgeron a disparu. Le faible volume de travail, et son coût, ne permet plus de former des apprentis. Les gestes risquent d'être oubliés, accentuant encore le manque de continuité dans la transmission et la perte des savoir-faire de la forge traditionnelle. Pour ces raisons, ils font désormais l'objet d'une inscription à l'inventaire cantonal vaudois du patrimoine immatériel.
Associé au bois et à la pierre, le fer est à la fois l'outil et le lien qui a bâti le monde. Ainsi, notre vieux continent s'est construit avec et grâce au fer forgé, et à son dérivé, l'acier, depuis deux mille ans. Et voici qu'il y a tout juste un demi-siècle, ce fer s'est retrouvé relégué au rang d'antiquité, tombé dans ce vaste domaine que l'on nomme patrimoine.
(Jacky Brandt, La ferronnerie d'art au Pays de Fribourg. Une question de feu sacré. Editions Cabédita, 2020)
TERRITOIRE
Le massif jurassien est riche en minerai de fer mais la configuration géologique des lieux rend souvent son exploitation compliquée. Le Poste des mines, entre autres, est l'un des hauts lieux de la sidérurgie à la Vallée de Joux [voir le reportage réalisé par ValTV en 2021]. Les forêts jurassiennes paient quant à elles un lourd tribut à l'activité sidérurgique. Exploitées depuis l'époque romaine, les futaies sont menacées à la fin du XVIIIe siècle. Seules une prise de conscience des communes et une législation bernoise très restrictive permettront de mettre fin à la pénurie de bois. Le paysage du Parc Jura vaudois d'aujourd'hui porte encore les traces de cet épisode. En effet, c'est suite à l'interdiction de l'utilisation du bois pour les clôtures que les murs en pierres sèches furent construits. Ils font désormais partie intégrante du patrimoine paysager du Jura vaudois.
De tous temps, en tous lieux, on a raconté des histoires. Certaines se perdent, d'autres se transmettent et nous parviennent de façon un peu mystérieuse. A force d'être racontés, transformés, adaptés par plusieurs générations, les récits acquièrent le statut de contes et de légendes. Dans le cadre de son inventaire du patrimoine culturel immatériel, le Parc naturel régional Jura vaudois est parti en quête des histoires qui hantent son territoire, mais aussi de celles et ceux qui les content.
Petite, Désirée Lauper assistait aux veillées, dans son Valais natal. Elle était déjà celle qui raconte et enjolive les anecdotes. Si bien qu'une amie lui recommande une formation de conteuse. Aujourd'hui, elle conte souvent à l'extérieur, au cœur de la nature qui l'inspire tant.
Je m'amuse comme une folle, quand je conte. Si une histoire ne me fait pas rire, ne me touche pas, j'aurais du mal à la raconter. J'aime amuser mon public, mais moi, je m'amuse aussi beaucoup. J'adore conter pour les enfants parce qu'ils sont tellement spontanés que c'est difficile de prévoir ce qu'il va se passer, comment ils vont réagir.
Comédienne, elle s'est initiée aux contes pour enrichir les cours de théâtre qu'elle propose. Littéralement envoûtée par un griot burkinabé, elle a adoré l'exercice. Une conteuse était née. Dans l'atelier de Mademoiselle F., elle propose spectacles, cours de théâtre, résidence d'artistes et moments contés. Des contes coquins pour adultes aux tartines de contes pour les familles, à l'heure du petit déjeuner: il y en a pour tous les goûts.
Partout, autour de la planète, on peut captiver un public avec rien. Juste une histoire et une voix. Ca a un côté vraiment magique. [...]Alors je vais souvent trouver les vieux, je les fais parler. [...] Et ces histoires, je les intègre à mes contes. Parce qu'elles font partie de l'imaginaire collectif, du mien comme de celui de mes interlocuteurs.
C'est lors d'un long trajet en voiture avec sa fille qu'Isabelle Livet découvre l'art de conter. C'est le déclic pour développer son activité de conteuse. Désormais, elle raconte des histoires à des publics très divers pour lesquels elle prend soin d'adapter le ton de sa voix, les mots et la durée du spectacle. Elle emmène les contes dans des lieux inédits: prisons ou centres de réinsertion et s'attache à aborder des problématiques d'actualité.
Le conte, c'est l'oralité pure. Ce n'est pas de la lecture, même si on trouve nos contes dans des livres, et heureusement! Ils sont essentiels aujourd'hui pour sortir les gens des écrans, même si c'est un défi d'intéresser sans images, juste avec notre présence et notre voix.
En 1536, les Bernois conquièrent le canton de Vaud et y imposent la Réforme. La légende raconte que les moines de L'Abbaye, fuyant leur monastère avec missels et reliquaires, emportèrent la cloche d'argent de leur église sur le bateau qui les emmenait au Lieu. Las, celle-ci, dans un remous, tomba de la frêle embarcation au fond du lac de Joux. Il semble que parfois, elle tinte encore. Pour l'entendre, il faut avoir le cœur d'un saint et les oreilles d'un poète.Cette anecdote souligne le cadre historique dans lequel s'inscrivent les traditions orales, dans le Parc naturel régional Jura vaudois. En effet, il semble que la pauvreté du répertoire conté de la région s'explique, en partie, par la volonté calviniste d'interdire tous les récits non bibliques. Les récits populaires semblent plus nombreux dans les cantons catholiques.
Qui contait? De quelle manière? Dans quelles circonstances? L'oralité de ces pratiques rend l'appréhension de leur histoire difficile. L'inventaires des contes et légendes de la région prouve toutefois que certains événements notables, dans le Jura vaudois, ont perduré par ce biais. C'est le cas du cyclone qui frappa la Vallée en 1890, par exemple. Ou du diable de Mollens, individu peu scrupuleux, figure dans nombre d'histoires. Les contrebandiers sont également des personnages récurrents, toute comme les activités humaines traditionnelles que sont les métiers de la forge (voire l'onglet correspondant) ou l'horlogerie.
Autrefois les contes se racontaient lors des veillées familiales, durant les longues soirées d'hiver. La transmission était essentiellement orale. Mais au XIXe siècle, l'industrialisation a entraîné de profonds changements sociaux. A cette époque, certains, comme l'écrivain vaudois Alfred Cérésole, s'inquiètent de la disparition de ces traditions régionales. Dans le Jura vaudois, plus récemment, Gilbert Rochat et Rémy Rochat ont accompli un formidable travail d'archive.
Dynamiques actuelles
En effet, depuis les années 1970, le conte connait un renouveau dans le monde francophone. En Romandie, il existe désormais une formation qui, bien qu'elle ne soit pas reconnue officiellement, permet un transfert de compétences. Le rapport à la tradition orale s'articule désormais par écrit, mais aussi sur de nouveaux supports tels que les vidéos ou les podcasts. Désormais, ce sont dans les livres ou sur le web que les conteurs et conteuses trouvent leurs histoires. Les conteries d'aujourd'hui n'ont plus seulement l'accent d'une région mais s'inspirent du monde entier. La Nuit du conte est organisée chaque deuxième vendredi de novembre, en Suisse, depuis 1990. Elle permet aux enfants, comme aux adultes de faire marcher leur imagination, sans les ressorts visuels produits en surabondance par la société du XXIe siècle.
Contes ou légendes?
Un récit est qualifié de légende lorsqu'il fait référence à un endroit, un personnage ou un événement précis. Grâce à leur inscription locale, il est beaucoup question de légendes, dans le Jura vaudois. Les contes, quant à eux, ne concernent pas un endroit précis du temps ou de l'espace: ils ont une visée plus universelle. On retrouve par exemple des versions du Petit chaperon rouge, conte initiatique s'il en est, jusqu'en Chine! Il existe plusieurs catégories de contes. Ceux qui marquent les passages importants de la vie sont des contes initiatiques. Mais il en existe également qui expliquent l'origine des noms ou des phénomènes naturels (contes étiologiques). Les contes de féées, convoquent le merveilleux et comportent une morale implicite, tandis que d'autres mènent à une réflexion philosophique empreinte de sagesse.
Les contes ont pour visée d'apporter des enseignements généraux sur le monde et la vie, tandis que les légendes permettent de s'approprier des lieux précis.
TERRITOIRE
Avec ses rudes hivers, ses forêts profondes et ses gouffres, le massif jurassien dans son ensemble inspire différentes formes de personnification de la nature. On y trouve, non seulement des fées, mais aussi des épicéas et des sapins rôdeurs! Les grottes servent de décor à de nombreuses histoires qui tantôt enchantent, tantôt effraient. Le lac de Joux, n'est pas en reste. Il est le lieu de pêches miraculeuses et de disparitions mystérieuses. Qu'ils soient sauvages ou domestiqués, les animaux sont souvent des personnages à part entière. Le loup, bien sûr, mais aussi les vaches, les chevaux et même les escargots.
Avec leurs courbes harmonieuses facilement identifiables sur les cartes, s'étendent, au nord-ouest, les plis du Jura, massif calcaire soulevé lors de la formation des Alpes. Ils abritent un monde de hauts plateaux, de marais et de pâturages ombragés de sapins qui attirent le regard vers le lointain. [...] Mais les conteurs rêvaient aussi des grottes et couloirs souterrains creusés par l'eau dans le calcaire, où les hommes de jadis se seraient réfugiés pour échapper aux troubles des temps.
(Serge Golowin, Suisse, pays de légendes, Editions Mondo, Vevey, 2001, pages 8 à 10)