Outre l'industrie forestière, l'artisanat du bois est une tradition bien vivante dans le Parc Jura vaudois. Des boîtes à Vacherin Mont-d'Or AOP aux skateboards, en passant par les guitares ou les tavillons, les savoir-faire sont constamment réinventés.
Plusieurs artisanes et artisans du bois, ainsi que des spécialistes du patrimoine rural, ont été interviewés, dans le cadre de cet inventaire, tous ne sont pas présentés ici, mais ils sont cités dans la fiche d'inventaire, disponible en téléchargement ci-dessous.
Hans-Martin Bader - Jacques Berney - Lucas Bessard - Jean-Victor Bonny - Jeanmichel Capt - Olivier Crisinel - Yvan Freiholz - Daniel Glauser - Laurent Golay - Marianne Golay - Olivier Grieb - Cédéric Gühl - Pascal Limito - Claude Luisier - Sébastien Meylan - Armand Nydegger - Pascal Rachet - Denis Reymond - Martial Reymond - Adrien Roldan - Laetitia Urfer - Yannick van Hove - Rémi Vuichard
Originaire de Besançon (F), il s'est d'abord orienté vers une école de garde forestier. Suite à des problèmes de dos, il abandonne la profession de sylviculteur et se forme au métier d'ébéniste. Installé à Juriens, il mélange matières, techniques anciennes et défis innovants.
A partir de neuf, dix ans, c'était clair et net que je serai garde forestier ou ébéniste. Pourquoi? Je n'en sais trop rien. [...] Et voilà, j'ai été sélectionné, parmi les douze, alors qu'on était quand même plus de deux cents sur ce concours. On était pas jugé sur notre niveau scolaire, mais sur ce qu'on avait dans les tripes. Ils évaluaient notre passion et nos connaissances de la forêt.
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Après avoir monté son entreprise forestière à la Vallée, il a investi dans les boîtes à Vacherin Mont-d'Or AOP, que plus personne ne fabriquait. L'appellation d'origine protégée exigeant l'utilisation de bois local, l'entreprise Valartibois a ouvert ses portes au Lieu en 2021, avec le soutien de producteurs et d'affineurs de fromages. Pascal Rachet et son épouse produisent les pièces en épicéa et montent les boîtes pour la quasi totalité des vacherins produits en Suisse (800'000 unités d'emballage par an).
«En levant les sangles, et en voyant que les vieux fabricants de boîtes arrivaient tous à la retraite, ça m'a donné envie de faire des boîtes. A la base, je m'étais dit que c'était un à côté sympa au travail de bûcheron, pour être au chaud, l'hiver. Alors j'ai trouvé deux agrafeuses et on travaillait juste avec ma femme.»
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A la suite d'un voyage en Australie, Laetitia Urfer est tombée amoureuse du surf. Avec Marius Boulaz, bûcheron débardeur, ils ont rapidement l'idée de construire des planches de surf décoratives en bois. Dans leur boutique de Romainmôtier, elle se consacre désormais, en grande partie, à la décoration de planches en bois, notamment pour des commandes personnalisées. Il leur tient à cœur de travailler avec du bois local et de tout faire, de A à Z.
«J'ai toujours dessiné. Vraiment. Depuis que je suis en âge de tenir un stylo. J'ai toujours adoré ça. J'ai l'impression que je m'améliore parce que quand je regarde les toutes premières planches qu'on faisait, elles sont moins poussées dans les détails. C'est beau à voir, je trouve, parce que ça prouve que plus on travaille, mieux c'est.»
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Né à la Vallée de Joux, fils de menuisier, Laurent Golay est féru de snowboard. Il a transformé l'entreprise familiale pour fabriquer ses propres engins de glisse. Dans leur atelier du Brassus, Laurent et Patrizia Golay proposent skate, surf, paddle, powsurf avec le souci des fournitures locales et de la bienfacture artisanale.
«Ce qui me plaît le plus, c'est de créer et d'inventer de nouveaux produits. C'est vraiment la partie qui me booste et que je trouve la plus cool. Ma femme me dit souvent d'arrêter de faire de nouveaux trucs. Parce que moi, quand j'en ai fini un, je suis déjà sur le prochain. Reproduire un même objet n'est pas assez créatif et je n'ai pas l'impression d'avancer.»
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C'est durant sa scolarité, qu'il rencontre Jeanmichel Capt, alors enseignant, et construit sa toute première guitare. Plus tard, c'est dans l'atelier de lutherie JMC, au Brassus, qu'il fait son apprentissage. Désormais installé à L'Abbaye, l'élève a rejoint le maître. Il fabrique différents types de guitares et porte un soin tout particulier à la rencontre et aux échanges avec les musiciens qui lui commandent des instruments.
«Ce que j'aime, dans la guitare, c'est que c'est extrêmement diversifié. Dans les guitares acoustiques, on a autant des guitares à flamencas à cordes nylon, que des guitares dites folk, avec des cordes métalliques. [...] Je n'aime pas faire des copies, en fait. Même si c'est la copie d'un standard. J'aime pouvoir changer.»
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Dans le Jura vaudois, l'exploitation du bois débute avec les premiers défrichements, autour des monastères installés à Romainmôtier, L'Abbaye ou à l'Abbaye de Bonmont, à Chéserex. L'objectif consiste à ouvrir des pâturages et fournir du bois de construction et de chauffe. Ces déboisements entraînent la création d'un paysage emblématique des crêtes jurassiennes: le pâturage boisé. La pression s'intensifie sur le milieu forestier et les ressources en bois, durant tout le Moyen Âge (voire Fiche 01 Les métier de la forge). De nombreux métiers en lien avec le bois se développent: boisselier, sabotier, charron, charbonnier, charpentier, etc. Leur essor est fortement lié à l'économie de subsistance. L'hiver venu, chaque paysan devient aussi bûcheron. Si le bois de construction est débardé avec des chevaux, le bois de chauffe est principalement ramassé en forêt. Avec l'essor de la société industrielle, ces pratiques et savoir-faire ont, en grande partie, disparus. Ou, comme dans les secteurs de l'ébénisterie, de la charpente ou de la menuiserie, ils ont considérablement évolué.
Dans le cadre de l'inventaire des patrimoines culturels immatériels mené par le Parc naturel régional Jura vaudois, tous les acteurs de la filière bois n'ont pas été interviewés. Leurs pratiques devaient être rattachées aux traditions vivantes. La plupart relèvent de l'artisanat. Scieurs à façon, ébénistes d'art, tavillonneurs, luthiers, facteurs d'instruments ou artisans d'art assurent à la fois la transmission de pratiques et de connaissances anciennes, tout en les réinventant. C'est notamment le cas pour les constructeurs de skateboards ou de planches de surf, dignes héritiers des fabricants de skis en bois du siècle passé.
Auparavant, les scieries utilisaient la force hydraulique. Jacques Berney est la mémoire des scieries combières. Il se souvient du temps où une quinzaine d'entre elles fonctionnaient, à la Vallée, avant que l'automatisation et les exigences de rentabilité ne sonnent le glas des installations artisanales. Certaines subsistent, comme celle de Clerval à L'Abbaye reprise par Jean-Victor Bonny ou celle d'Olivier Crisinel, à Moiry. Ils scient à façon, pour des particuliers peu pressés et amoureux des anciennes techniques.
L'histoire de ces planchettes de bois, longues d'une quarantaine de centimètres pour cinq millimètres d'épaisseur, est révélatrice de l'évolution du patrimoine. Longtemps, les bardeaux ont dominé. Posés côte à côte et maintenus par des perches lestées de pierres, ils ne pouvaient être installés que sur des toits peu pentus. Or, à la Vallée de Joux, l'accumulation de neige entraîne régulièrement l'effondrement des toits. Les tavillons apparaissent au cours du XVIIIe siècle, mais ils se répandent lentement, car les clous, alors forgés à la main, sont rares et chers. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que des clouteries s'installent dans la région, permettant l'essor du tavillon. Au XIXe siècle, toutefois, leur remplacement, par des toitures en tôle, est popularisé par les campagnes de préventions des incendies. Les tavillons perdurèrent en façade, où leur longévité peut atteindre une centaine d'années, contre trente à quarante ans, sur un toit.
Pour la plupart des artisans du Jura vaudois, le tavillonnage est un à-côté. Les commandes sont aléatoires, les revenus aussi et le savoir-faire se perd bien que ce métier ait été inscrit, par la Confédération, au patrimoine culturel immatériel suisse. Plusieurs professionnels s'attachent à le faire perdurer, notamment Martial Reymond et Denis Reymond. La question du recours, ou non, à des machines de sciage est révélatrice des tensions qui sous-tendent l'évolution des pratiques traditionnelles.
L'arrivée des matériaux composites a considérablement bouleversé les métiers de la menuiserie et de l'ébénisterie. Plusieurs professionnels se sont alors, réorientés vers une expression plus artistique de leurs savoir-faire. C'est le cas de Cédéric Guhl qui propose une variante de la marqueterie traditionnelle à l'enseigne de Jouxboiserie, au Pont, de Pascal Limito dont l'atelier se trouve à Juriens ou d'Yvan Freiholz, dont l'entreprise Bois libre créations, est installée aux Charbonnières.
Il est difficile de savoir quand les propriétés de résonance de certains bois du massif du Risoud furent découvertes. Toutefois, elles font désormais partie d’une forme de mythologie, dans cette forêt qui abrite d'innombrables légendes. Plusieurs facteurs d’instruments sont aujourd’hui installés à la Vallée de Joux: Yannick van Hove, facteur de clavecins ; Adrien Roldan/Alias Instruments et Jeanmichel Capt/Au travers des mains, spécialisés dans les guitares ou Claude Luisier, qui innove, avec les balafons. Au Pied du Jura, à Premier, Hans-Martin Bader est également un personnage réputé loin à la ronde, pour ses violons. Artisans d’art plutôt que professionnels du bois, ils perpétuent des savoir-faire ancestraux tout restant ouverts au monde dont leurs instruments se font l'écho
« C'est un métier qui vous occupe toute une vie. On y pense même la nuit! Cela demande une immense expérience professionnelle. Mais ça reste un défi, chaque fois. »
La fabrication du Vacherin Mont-d'Or AOP est une spécialité du Jura vaudois intimement liée au travail du bois. En effet, ce fromage à pâte molle est entouré d'une sangle d'épicéa puis présenté dans une boîte, fabriquée à partir de la même essence. Deux métiers du bois traditionnels très spécifiques sont liés à cette production : la levée de sangle et la fabrication des boîtes.
D'autres métiers du bois émergent, conciliants avec brio tradition et innovation. Reflets d'une tendance, les sports de glisse inspirent ces artisans: Lucas Bessard /Wood Spirit fabrique des skis en bois, Laurent Golay/LGS Board Manufacture et Armand Nydegger /NK Manufacture fabriquent des skateboards, Laetitia Urfer et Maurice Boulaz/Les planches du Nozon des surfs décoratifs. Dans un autre registre, Olivier Grieb/Grand arc et Rémi Vuichard / Archerie du faucon explorent le monde de l'archerie.
Tous doivent faire face aux défis économiques propres aux activités artisanales, mais revendiquent indépendance et créativité. Durabilité et proximité sont des arguments importants, qui leur permettent de se positionner dans ces marchés de niche.
La catégorisation des métiers du bois comme plutôt masculins est, en partie, liée à la pénibilité des tâches à accomplir. Marianne Golay, pourtant, a levé des sangles à vacherin pendant de nombreuses années. Plusieurs femmes, à l’image de Patrizia Golay, Martine Rachet ou Madame Berney, jouent un rôle clé dans l’entreprise, bien que leur travail souffre d’une certaine invisibilité. Hommes ou femmes, les artisans cherchent aujourd'hui à varier les tâches afin de moins s’abîmer physiquement..
Comment estimer le juste prix de son travail ? Cette question préoccupe. Les heures passées sur l’établi sont souvent trop nombreuses pour être réellement facturées. Et, tout le monde n’est pas commerçant, en plus d'être artisan. Internet et les réseaux sociaux exigent une présence régulière, mais peuvent ouvrir de nouvelles perspectives commerciales. La réputation des artisanes et artisans du Parc Jura vaudois s’étend ainsi loin à la ronde.
Beaucoup d’artisans ont mentionné leur attachement au bois local. Certains cultivent une relation très étroite avec les forêts qui leur fournissent de la matière première. Il est toutefois de plus en plus difficile de se procurer du bois massif de proximité. Certains, comme Marius Boulaz, choisissent de l'abattre eux-mêmes.
Les gens du bois sont en première ligne pour observer l'influence de la nature, qu’il s’agisse des phases de lune ou du changement climatique.
« La provenance du bois préoccupe les acteurs de la branche et cristallise les problématiques actuelles du développement durable face à un monde globalisé. »
Étymologiquement, Joux, tout comme Jura seraient des dérivés du mot gaulois juris qui signifie forêt de sapins. Caractéristique des massifs jurassiens, l'épicéa est l'une des essences les plus utilisées, tant pour les tavillons que pour les boîtes à vacherin ou la lutherie. Deux forêts sont particulièrement réputées, sur le territoire du Parc Jura vaudois. La forêt du Risoud, à la Vallée de Joux connue pour son bois de résonance et le Bois de Chênes de Genolier, qui recèle une réserve forestière intégrale et scientifique depuis 1961. L'Arboretum du Vallon de L'Aubonne propose une collection d'arbres remarquables et abrite un Musée du bois.